Antoine Bargel

2004

Il n'a pas convenu d'honorer

il n’a pas convenu d’honorer
en ce lac les enfants morts deux fois
le corps de leur mère qui lentement pourrit
sera leur seule croix
par la volonté du patriarche

deux fois arbitrairement pris
dans le souffle puant de la folie des hommes
celle qui hurle – facile à reconnaître
celle qui se tait – et croit avoir raison
leur mère qui se décompose sous mes yeux
– comme je la vengerai !

renversés par deux fois sans comprendre
hors de leur vie hors de leur mort
et sur ses deux épaules leur mère porte
ces deux fardeaux de leur mort et de leur oubli
– du patriarche et de sa volonté
je me vengerai

La mie de pain des yeux du rêve

La mie de pain des yeux du rêve
creusée de larmes perle-lame
nourrit chaque jour mon chagrin.
Qu’importe encor le petit drame
      du réveil au matin ?

Tartiné de beurr’ trist’, mon corps
brisé du néant admirable
de la vertu en quête d’or
rejette un pet minable
      puis se retourne et se rendort.

Le café froid — regarde-moi
avant que je m’en aille.
Si tu pouvais voir quel émoi
sommeille en ce crétin qui baille…
      Le café froid — embrasse-moi.

Le bus abuse du remord
que j’ai d’encor te laisser seule
pour slalomer entre les morts
— et toi sous ton linceul
      paisiblement tu te rendors.

La bureau nique-sa-mère bureau
termine d’achever la fin
des rayons de mon œil en trop ;
et seul subsiste le parfum
      demain des yeux du rêve.

Depuis que tu es morte

dans la procession des cœurs
de bile noire qui s’écoule
brisée, muette de souffrance
nue de chair déchirée par moi
déchirant mon œil, souffle
à jamais lové dans la terre, heures
apprêtées de larmes inutiles, enfant bête
dans la procession des cœurs
voici que s’en va et pourrit
ton reniflage de ma profondeur

amusée, jambes ouvertes, chair froide
le passé m’accueille encore
cambre mes reins l’épaule
derrière la tête le passé jouit
d’abord de mes fureurs, qui ont fondu
maintenant de mes silences

reflets dérisoires
comme une réaction chimique qui se poursuit
dans mon cerveau alors que rien
plus rien n’est qui jaillisse

quand tu es morte le sang
d’autres morts m’est monté dans la bouche
morte, je t’ai vite oubliée
mes pères criaient dessous mes pieds
dessous mon âme leur histoire
la fureur des dieux et la folie des hommes
qu’il me fallait raconter O
procession noire des idées en mon cœur
lorsqu’on l’ouvrit comme une outre
on trouva du sable rouge
morte, je t’ai vite oubliée

c’était la lande et un chemin de guerre
un fin ruisseau de sang
s’écoulait déjà du sommet
où nous courrions nous battre et mourir
c’étaient déjà les pères de nos pères
qui s’écoulaient là
vibrant de nos pas

les cartilages se brisent et s’échappe un pet d’air
quand ta gorge est frappée d’une lame vulgaire
dans la lumière des phares
ton corps est une boule de poussière
toute gluante
si c’est au ventre la brûlure est lente
et ce qui s’écoule dans tes mains gras
sur le bord de la route
je t’ai aimé avec ma Ford
ton corps a libéré des os
plus que je n’en pus baiser
si tu peux, fais tourner ton épée
dans mon ventre

où irais-je ?

ma guerre est finie

Les liqueurs absentes

noires, mornes et criantes
comme le prix d’une mort souriante
affublées d’âtres antiques
nulle émeraude rare au front
d’éternelle jeunesse ou fondement d’oubli
de vice
ensevelissement d’âmes innocentes
amies oubliées de noms rares

pluriels d’origine
les murs à jamais opposés
chantant de ryhtmes insoupçonnés
désolante muraille

inutilité de mon ordre
futile lacune d’art
ton aiguille aujourd’hui couchée
dans la boue de mes marais saoulés d’ombres
d’absences assonnantes

plis
murmures étincelants d’ignorance
grondements intimes
main qui n’est pas oubliée
aragnes de pensée

je parlerai toujours de toi
touchée du doigt d’orgasme et de mort
la même matinée d’enfance
tu meurs emplie d’espérance
jamais au-delà de l’orage
ta bouche éloignée prévoyante
armée d’un rideau de feuilles tombantes
d’organes tristes illuminés
ornée de pleurs acharnés
de nuits tsiganes

oubliées

Les liens ensorcelés

«  et pâle pet de pétale »
Ghérasim Luca

paroles d’hier
fondues de copeaux de sommeil et de rêve
absentées d’orgasmes encore
inutiles et rapides dans la nuit
pleine et volubile emplie
d’espoirs de chair
oubliées
les répétitions vides de sens
mon sang s’écoule à la coupe de ton sexe
lune où je plonge
tu ne m’as même pas regardé
occupée à courir après l’or
moi le porteur de ton immortalité
l’invincible serment de silence
serment ou lance à ton flanc
invisible baquet de semence
toi très belle brûlure à mon ventre

La gueuse

la gueuse,
agacée des derniers chemins pris par mégarde
par mes yeux mon esprit ou mon âme,
dériva sans mot dire
au courant de ma vigilance

jusqu’à ces pas brefs et glacés
qui peuplent à jamais mon enfance

la gueuse,
pétrie de mon refus de la voir ou entendre
ou sentir approcher dans le noir,
s’arma de souffles courts
(de poitrinaires lances)
pour s’emparer de mon enfance

des gracieuses torsades
des jours et nuits de ma vie et d’amour

Fallacieux dévergondages de rires

fallacieux dévergondages de rires
d’autres possibilités oubliées
d’échanges pudiques de regards pires
de chairs et de morts à jamais liées

entre nous se dilate un hasard triste
tous les reniements d’un art immobile
entre nos corps un dur émoi persiste
deviné redessiné sans mobile

tout se penche et mes soupirs embrasés
reformulent les mêmes lois anciennes
annulant leur propres airs écrasés
en pluies parfumées – lèvres circassiennes

sous certains lierres de mon enfance
s’éteignent de gracieux livres de pierre
encore hantés d’une ultime espérance
que mon silence à jamais va défaire