Demi-journal (extraits)
1. Tout comme la propriété d'un arbre...
28/10/20
L'arbre est offert à tous
et la capacité à s'asseoir dessous
pour regarder le temps passer
à condition que l'arbre n'ait pas de fruits
et ne soit pas dans le jardin d'un trop riche
et ne soit pas en territoire ennemi.
20/8/22 Possession et propriété
Il y a de mauvaises fictions,
comme la grammaire par exemple,
et d'autres qui sont bienveillantes
mais guère attrayantes d'usage,
comme les droits de l'homme,
et des fictions qui vous enchaînent
à des devoirs ou des drapeaux,
à des appartenances obligeantes,
et des fictions qui vous donnent espoir
tant qu'elles fonctionnent ou résistent aux assauts
se prétendant réels d'autres fictions nouvelles
et la grande fiction de la propriété.
**
Lorsque j'étais petit, mon père a coupé deux branchettes
afin que je grimpe sur la première
vraie branche assez solide pour me supporter.
L'année suivante, j'ai pu me hisser sur la deuxième.
Avec le temps, j'ai conquis les étages
grossièrement hélicoïdaux
de l'arbre séculaire de mes grands-parents,
progressant chaque été vers le ciel
et la dernière branche vacillante,
au sommet de mes ambitions,
où face à la lune, un soir adolescent,
j'ai jeté ma semence au vent
et même si les propriétaires suivants
du domaine et de ses habitants
ont décidé d'abattre le témoin
de la guerre de Cent Ans, qui leur faisait de l'ombre
sur la piscine creusée dans le poulailler,
il paraît que les soirs d'éclipse,
sur le pré décharné baigné de noirceur dure,
saillissent de petits Antoine ligneux,
tremblant de boucles frêles et conifères,
là où les gouttes des dragons dansants
formèrent jadis un archipel impérissable
et invisible au matin.
**
Un arbre, qui le possède ?
Qui a pouvoir de le couper, ou
qui en cet instant le contemple.
**
Lorsque je regarde le monde sans souscrire
ni à mes propres interprétations
ni à celles qui sont l'objet des combats
et des négociations de la société
et que j'écris ce qu'on appelle fiction,
je suis obligé de dire que c'est faux
pour que vous vouliez bien y croire,
mais en fait je m'efforce surtout
de décrire la réalité, sans autre motivation,
contrairement aux auteurs concurrents
de vos fictions intéressées,
que de vous rappeler que tout est là,
déjà en votre entière, mais limitée à cet instant,
non exclusive mais non moins
entière possession.
29/12/20
Parmi toutes les histoires de masturbation
dont le récit délasse nos heures d'ivresse,
celle qu'unanimes mes amis préfèrent
c'est quand je me suis branlé au sommet d'un arbre.
C'était une nuit chaude, étoilée, large lune,
j'étais à l'âge où l'on a le chibre facile :
pourquoi pas ? trouvait rarement de réplique.
Alors là-haut, dans les branches où j'aimais
me réfugier loin des obligations d'enfance
et que berçaient et mon poids et le vent,
j'ai rapidement fait mon œuvre,
veillant seulement à viser, l'instant critique,
celles des branches sombres et touffues
qui ne me serviraient pas à redescendre.
2. Paraphrase 1
Le premier homme était seul.
Il avait peur,
car celui qui est seul a peur.
Mais il songea : "puisqu'il n'y a rien d'autre que moi,
de quoi ai-je donc peur ?"
Et sa peur disparut,
car de quoi donc aurait-il pu avoir peur ?
On ne peut avoir peur qu'en présence d'autrui.
Il n'éprouvait pas de joie,
car celui qui est seul ne connaît pas la joie.
Il désira la présence d'autrui.
(Brhadaranyaka Upanishad, 1/1/23)