Antoine Bargel

2006

Cinq poèmes d'avril

on est tubes avant tout
puis combinaisons de tubes
liés d’air vibrant et de glaires partagées
de temporaires jointures toujours à refaire
on est tubes et appels de tubes
à remplir et à vider
ensemble ou séparément
tubes heurtés qui résonnent
exposés sur un plan gluant de traces
tubes en perpétuelle expansion
toujours plus vides et plus sonores
plus affamés de dilatation
on est tubes ensemble tant que cage
on est tubes seuls tant que chute
qu’abandon de la hiérarchie des bouts
roulant au sol happant la cendre
des deux extrémités
on est tubes alors prêts à se fendre
à déchirer la soudure axiale
prêts à redevenir plan


amorphe, perpétuelle irrigation du nœud
interne à la gorge, à inciser
bubonique animal mort

par petits élans dort, divers
retours de l’autre éteinte
emplie d’inachevable

se répète, inlassablement, le nivellement

suave le repli, seul énergie du soir
s’érige encore informe à ton flanc mon lisse hoir
malice, je glisse ce qui me reste dard

pour abandonner, bientôt, faute de n’avoir pas bu
      (Inutile)


refaire l’expérience originelle

éclats crayeux et lisses
disposés en couronne, acérée sur l’oreille
raclés à nouveau d’une paume sanglante
arrachant sans succès les peaux superficielles
effort
inutile à bien des yeux, injustifiable
d’autre façon que par la joie d’être en peine
si c’est plaisir de bouche, goût du sang
de la vie en somme, ciselée pour être belle
il faut souffrir

longtemps, j’ai modelé mon âme au diable
oubliant quel écrin l’extraction promettait
couffin d’agitation clos de clous acérés
prix de l’extravagant goût du néant
s’il est touillé d’abâts d’anges

sorti du rêve, la soupe est dense
peu de rémiges pour se guider
les images anciennes – à jamais établies
font écran voile à déchirer
souffle dessus

les brindilles de diamant se détachent des cheveux
la sang qui coulait droit s’étale aux tempes
le sexe enfantin tend à s’enfouir dans l’étreinte
sortie de léthargie la mourante s’étire

acide, l’éternelle brûlure se remet à couler
sur la peau et le crin qu’elle fond en mesure
au battement des tempes, de la main atrophiée
moignon qui se saisit à nouveau de l’impur
instrument du mal

sévice, je te rends ton épouse à mon front
chair à travailler dure n’hésite à lacérer
du profond de ses plaies je nourrirai ma gorge
braise avide à froisser dans la fente des lèvres

jus sucré sur ma langue


l’éblouissement soudain –
d’où le regard doit se tourner
où il veut s’inscrire
ô ciel labyrinthique
– n’interdit pas la brûlure volontaire

même accablé, même sans foi
qui ne verra pas qu’il doit s’aveugler ?
jusqu’à la chaleur de la pourriture
ne saurait émousser cette ardeur
(stylet infondable et dépassant
les corps en masse et en vouloir)
stylet pointé à l’œil divin

après, question d’essor
l’âge mûr convient
(car l’on pourrait se consumer sans flammes)
mais quel est-il ?
– jargon grisant tous les jours
sauf un jusqu’à la mort ?


Medianoche

au moment du silence, surgissement possible
attendu mais voué à l’oubli
à l’inconscience
sauf la fulgurante aphonie
du désir jeté hors du monde

absent, mais dévoilé
l’essor sanglant d’un rêve
fulgurante brûlure de surface
l’insoumission au règne animal et logique

mâtine, l’une nue écarte les jambes
pour engloutir
et rejeter

la substance de mort s’additionne au vécu
aimant l’énorme ardeur des méfaits successifs

le jour du reniement laisse place à la nuit