Antoine Bargel

2010

Alliance

j’ignore à peu près tout de toi
je t’espère et t’attends (il faut, lisant cela
le pousser vers le passé – ça résiste)
(à chaque instant recommencer)
je suis celui que tu espères et tu attends
mais je ne suis pas celui que tu crois

au début il y a un appel, une voix
pour toi je ne sais ce qu’elle a pu être
pour moi elle existait déjà
je m’y tiens, c’est clair, je flotte au-dessus de toi
mon regard, comme le tien maintenant
te déchiffre : tu essayes d’être

qu’est-ce que c’est ? je tu abandonne(s)
ton mon désir : nous abandonnons tout désir
je dis : nous laissons ce qui nous sépare
nous avons bien assez été
je le pense : je dis : ce qui nous fait exister
nous séparait et c’est abandonné

(maintenant, c’est à toi de mettre musique juste derrière tes yeux)

dans l’inconnu une sève sucrée bout
humecte les lèvres d’âcre chaleur, baiser
du silence enlacé à l’horreur de la chair
qui craque en se desséchant s’écartèle
s’entrouvre devant l’œil de la terre
     pyramide animale

dans la vasque du père, creusée pour lui
le sang s’écoule par avance
qui abreuvera tout espoir, tout sanglot
saisi par l’aube du plaisir
le flot figé scintille d’une perle
invisible au soleil

la remarque moirée du soldat
fracasse la flaque en éclats
l’ordre brandit dans l’ombre un cri

le petit filet bu rutile intérieurement

sous le masque du père, creusé par
le fils observe là l’entour
gradins de pierre et d’oliviers
ombres dont le contour est lu
poudres guérisseuses, mémoires
scansions acclamées pour l’absent

(n’oublie pas que je t’ai parlé, que tu me dois parole au temps)

écailles ramassées près des racines, fragmentaires

à l’angle de l’eau, couleurs
fuite du réveil, célébrations une
du sang recueilli par la mère
une de la préférence des formes, des jus et des peaux
que prend le matin pour le ventre
une du nom qui est caché
une du lion volant de pierre

énigme :

(sous les cendres, j’ai retrouvé un sein que tu connais : souviens-toi ?)

les cercles d’émeraude portés au front
protègent des morts les plus viles
endormie sous un mont
l’ivresse des porcs attend que s’en revienne
la nef chargée d’or du chevalier élu
allongé sous sa lame
(que je retournerai sur moi
un mot : puis le silence)

j’ignore à peu près tout de moi
je t’espère et t’attends (il faut, disant cela
le pousser vers l’avenir – ça se dissout)
(à chaque instant recommencer)
dans le silence, que l’espoir et l’attente
résonnent de ta voix portée par mon désir