Envie de m’allonger sur le banc de ce bar
comme sur le quai du port avec les clochards :
un renoncement à la décence
de rester vertical en public
quand je suis bancal en privé.
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Ça, c’est l’état neutre des rapports humains :
l’indifférence mêlée de respect qu’on a pour autrui
quand autrui boit
— respect du droit de chacun à son espace de boisson.
Mais en fait non : le serveur gagne son pain,
sa politesse est artificielle, conditionnée du moins ;
l’ensemble de l’espace est régi par la loi du patron
qui l’impose pour son bénéfice (pas de bagarres,
ne pas déranger les autres pour qu’ils consomment tranquille)
et repose sur la loi du pays au besoin.
Espace où les individus ne s’agressent pas
non par respect les uns des autres
mais de la loi qui nous permet de boire.
L’état neutre des rapports humains
c’est l’agression.
***
Quand on rencontre quelqu’un qu’on connaît,
qu’on va laisser approcher de soi
plus qu’on ne laisse les inconnus
— à portée d’attaque :
alors, même si on le connaît bien
mais juste au cas où, pour rappel,
on lui montre les dents.
***
Le rapport aux autres est fondé sur la peur
que l’autre attaque.
On a tous la capacité d’attaquer.
Le crime, c’est de la prendre à son compte
pour profit ou plaisir.
Ce dont on a tous le désir.
Et donc, puisque autrui alors
désire ainsi nous attaquer,
devoir de nous défendre.
***
Le plus simple : se montrer loquace et à l’aise
pour s’inscrire dans l’ordre social,
qui protège la plupart du temps.
Seul, on compte sur ses propres ressources :
ce sera trop d’effort de m’attaquer moi,
suggestion indirecte d’en attaquer plutôt d'autres.
En restant ainsi seul et silencieux,
plutôt que de jouer l’ordre social,
je représente un danger pour les autres
qui le savent et bien me le rendent.
***
Je ne peux donc pas m’allonger sur ce banc.
(Prague, 10/1/12)